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title: Introduction aux communs et application au logiciel libre
about: Article - Introduction aux communs et application au logiciel libre
authors: odile
tags: Libre, Communs, ALeC, logiciel libre
date: 2023-05-10
link: Libre en Communs
https://www.a-lec.org
link: Bar Commun
https://www.lebarcommun.fr
image: 1
lebarcommun.png
Logo Le Bar commun
image: 2
commun.png
La théorie d'Ostrom
image: 3
marché.png
Le marché n'est pas un commun
image: 4
propriété.png
Différentes visions de la propriété
image: 5
couv-coriat.jpg
Couverture livre B. Coriat
image: 6
couv-dictionnaire.jpg
Couverture Dictionnaire
image: 7
couv-ostrom.jpg
Couverture livre E. Ostrom
image: 8
couv-bosc.jpg
Couverture livre Y. Bosc
image: 9
couv-dardot-laval.jpg
Couverture livre Dardot-Laval
-----
#1 <img class="a-lec_image" src="../compose.png" alt="Logo articles" title="Logo articles" /> Introduction aux communs et application au logiciel libre
((
::1 "h=150", "c=r"
L'association ::Libre en Communs a eu le plaisir d'organiser un atelier
intitulé +`&:`Introduction aux communs`:&`+ présenté par :`Odile Bénassy`:
de Libre en Communs, militante du libre de longue date et organisatrice de
conférences, le +`mercredi 22 février 2023 de 19h00 à 22h30`+ au ::Bar Commun.
))
((
Comment faire pour qu'une initiative prise « en commun » tienne ses
promesses ? Pour tenter d'y répondre, nous nous appuierons sur quelques
éléments théoriques et de nombreux exemples pratiques. Pour finir nous
réfléchirons sur le cas du logiciel libre.
))
#2 Préambule
((
Dans un article publié en 1968, le biologiste américain :`Garrett J Hardin`:
explique qu'une ressource, par exemple un pâturage, est en danger
d'épuisement si elle est mise en commun entre plusieurs propriétaires de
troupeaux car chacun d'entre eux, pris individuellement, aura tendance à
prélever trop de la ressource, se disant que sinon ce seront les autres qui
le feront. Il appelle ce phénomène la Tragédie des Communs.
))
((
Cette théorie correspond assez bien à l'esprit du temps, la pénétration de
l'idéologie néo-libérale, qui théorise l'individualisme comme seule manière
d'exister. Simplement, elle ne correspond pas aux faits historiques puisque
de nombreux communs existent et ont existé, parfois depuis très longtemps.
))
#2 Théorie d'Elinor Ostrom
((
Un commun est constitué d'une +`ressource`+, d'un +`collectif`+, de +`règles
de fonctionnement`+ et de processus de +`gouvernementalité`+ (qu'on appelle
aussi ;`institution`;). Un commun n'est donc pas une chose mais un
fonctionnement social, un ;`faire ensemble`; autour d'une ressource qui peut
être matérielle, informationnelle ou culturelle.
))
::2 "h=400", "c=images_center"
((
:`Elinor Ostrom`: a étudié des milliers de situations variées sur tous les
continents : pêcheries, forêts, prairies, barrages... Elle a mis en évidence
une poignée de critères pour un bon fonctionnement, à la fois satisfaisant
et durable, du commun. Elle insiste notamment sur l'importance de
l'expérience de terrain des participants. Les règles du commun doivent être
en rapport (en anglais /`congruent`/) avec les paramètres locaux, qu'ils
soient matériels ou humains. Toute administration centralisée est
contre-productive car deux communs même semblables peuvent avoir des
fonctionnements différents. Elle illustre ces principes par la tentative
ratée du Canada pour unifier les règles des pêcheries locales, et par
l'existence de 3 communs différents d'irrigation (/`huertas`/) en Espagne,
dont deux sont très proches et situés sur la même rivière.
))
((
Par ailleurs, il est important que les entorses aux règles soient détectées
(fonction de police) et punies, et que les éventuels conflits soient
tranchés (fonction de justice).
))
((
Lors de notre atelier, nous avons examiné le cas d'un marché de village, et
bien que la ressource soit publique et ouverte (la place du marché), nous ne
le caractérisons pas comme un commun.
))
::3 "h=400", "c=images_center",
#2 De la globalité
((
Les travaux les plus connus d'E. :`Ostrom`: portent sur des communs dits
+`fonciers`+ et de taille réduite. Pour autant, elle s'est intéressée aussi
aux communs dits +`globaux`+. À ce sujet, elle parle de +`gouvernementalité
polycentrique`+ et met à profit ses découvertes concernant les communs
+`locaux`+ comme boîte à outils permettant des évaluations, des projets...
))
((
En ce qui concerne la mer ou le climat, :`Ostrom`: insiste sur la nécessité
de s'appuyer sur de multiples communautés locales, sans l'action desquelles
rien ne sera possible (ce qui n'exclut nullement des actions aux niveau des
pouvoirs publics).
))
((
La notion de +`communauté diffuse`+ permet d'approcher des communs dont le
périmètre est un peu flou ou difficile à cerner et qui sortent en cela du
cadre défini par :`Ostrom`: pour des communautés bien définies, dites
+`communautés positives`+.
))
#2 Rôle de la puissance publique
((
Nous avons vu ci-dessus que la puissance publique ne devrait pas intervenir
pour administrer le commun. Cependant, elle a un rôle à jouer en tant que
protectrice du commun. Elle peut fournir un cadre et pour commencer elle
devrait cesser de faire comme si les communs n'existaient pas car cela les
met en danger. (en France voir le problème des ;`sections de communes`;, qui
doivent constamment être défendues contre des logiques adverses).
))
((
La puissance publique administre les biens publics, le patrimoine du peuple.
Depuis environ un siècle et demi elle peut en disposer (par exemple les
vendre). Ce n'était pas le cas auparavant, elle en était seulement gardienne.
))
((
La ressource sur laquelle les communs se basent peut avoir un statut public
ou un statut privé mais les règles de fonctionnement sont différentes. En
attendant une meilleure prise en compte par la législation, les règles des
communs s'insèrent tant bien que mal dans le droit existant. Quant au
collectif, pour ce qui concerne la France il s'organise généralement en
association ou en coopérative.
))
((
En Italie, grâce aux travaux de la ;`commission Rodota`;, des collectifs de
citoyens motivés ont pu s'emparer d'un équipement public (parc...) lequel se
trouve transformé en commun grâce à un contrat établi avec la municipalité.
))
#2 De la propriété
((
Nous sommes habitués à une conception unitaire et assez radicale de la
propriété comme un « droit inviolable et sacré » : sauf exception prévue par
la loi, le propriétaire, a tous les droits. En droit romain cela correspond
aux [`usus - fructus - abusus`]. Le propriétaire peut même détruire son bien !
))
((
Pourtant, l'histoire et la géographie nous montrent qu'il n'en est pas ainsi
partout ni en tout temps. L'économiste :`John R. Commons`: a introduit la
notion de faisceau de droits (en anglais /`bundle of rights`/). Si on
considère la propriété comme un faisceau de droits, on peut dès lors les
distribuer sur plusieurs individus ou groupes et dans la pratique c'est
souvent ainsi que fonctionnent les communs.
))
::4 "h=400", "c=images_center"
#2 Un peu d'Histoire
((
Les communautés villageoises étaient très présentes en Europe jusqu'au XVème
siècle et fonctionnaient largement comme des communs : certaines activités
étaient exercées systématiquement en commun, certains biens fonciers étaient
communs (/`communaux`/), et tout habitant même très pauvre avait toujours
quelques droits sur le territoire (ramassage de bois, vaine pâture...).
L'inflation consécutive à la découverte de l'Amérique a poussé les seigneurs
à augmenter leurs rentes, ce qu'ils ont fait en grignotant progressivement
les contrats et les droits des paysans. Il s'en est suivi une expropriation
et donc une expulsion de la population rurale, particulièrement brutale et
totale dans certaines régions françaises (Poitou) et en Angleterre. C'est ce
qu'on a appelé le :`mouvement des enclosures`:.
))
((
Méconnue des historiens de la révolution française jusqu'à une période
récente, cette question des communaux est pourtant un des enjeux centraux de
la période qui va de 1789 à 1795. Les villageois ont en effet essayé
désespérément de récupérer ces droits dont le souvenir était encore bien
vivant, tandis que les nouveaux propriétaires fonciers, de la nouvelle
classe bourgeoise, s'y opposaient farouchement et ont finalement gagné la
partie en 1795 (Thermidor)<sup> >`sup_1:(*)`< </sup>. C'est sous le Consulat
que la conception de la propriété telle que nous la connaissons a été pensée,
puis consacrée par le Code Civil de 1804.
))
((
À la fin du XX<sup>ème</sup> siècle, a lieu une résurgence de la pensée des
communs à l'occasion de ce que :`James Boyle`: a appelé les [`nouvelles
enclosures`] à propos des biens informationnels : extension des brevets, du
copyright, privatisation des publications scientifiques, des semences...
))
((
-> sup_1
(*) cf :`Yannick Bosc`:, pages 171 et suivantes
))
#2 De quel bord, politiquement ?
((
On n'a pas forcément intérêt ici à mettre des étiquettes. Tout comme les
logiciels libres, les communs n'appartiennent pas à une famille politique en
particulier.
))
((
Il ne faut pas confondre /`commun`/ et /`communisme`/. Ce qui compte c'est
le +`faire ensemble`+ et le +`décider ensemble`+.
:`P. Dardot`: et :`C. Laval`:, dans :`Commun`:, s'attardent sur les modes de
pensée et d'organisation ayant présidé aux théories comme aux
expérimentations les plus connues <sup> >`sup_2:(*)`< </sup> comme se
réclamant du communisme : certaines valeurs morales dans un cadre religieux,
ou bien l'/`exigence d'égalité économique`/, et surtout la verticalité du
pouvoir, la présence d'une administration centrale chargée de répartir les
tâches et de distribuer les biens de consommation...
))
((
À l'opposé, on pourrait être tenté de taxer les communs anciens de pensée
réactionnaire : les /`huertas`/, par exemple, existent depuis plus de mille
ans. Durant la Révolution française, la tendance fut à la suppression des
communs, considérés comme des éléments de l'Ancien Régime.
))
((
-> sup_2
(*) D'autres expériences, plus récentes, moins connues, mériteraient un
examen plus approfondi tant elles s'approchent de l'esprit des communs. Le
/`confédéralisme démocratique`/ tel qu'il s'est mis en place au Rojava
(Nord de la Syrie) est un exemple.
))
#2 Le cas du logiciel libre
((
Le logiciel libre est un commun informationnel global à gouvernementalité
polycentrique. Décomposons cette caractérisation.
))
#3 « commun informationnel »
((
Se caractérise par un accès à la ressource difficilement excluable. En effet,
une fois qu'il est publié, on ne peut pas priver d'accès au logiciel libre
une personne ou un groupe de personnes.
))
#3 « non rival »
((
Les logiciels libres sont loin d'être appauvris si on les partage, comme
pour les autres communs informationnels ils en sont au contraire enrichis.
Il n'y a pas de danger lié à un accès abusif donc pas de
« tragédie des communs ». Par contre on note de possibles fuites par
appropriation du code accédé (changement de licence, par exemple). Il existe
des moyens de protéger de cette enclosure, par exemple le /`gauche d'auteur
(copyleft)`/.
))
#3 « global »
((
Le code libre publié, ainsi que les documentations, rapports de bugs,
discussions, de et autour de tous les projets libres, fonctionnent comme un
tout organique dans lequel les acteurs se déplacent à volonté. Les acteurs
peuvent passer d'un projet à l'autre, travailler sur plusieurs projets en
même temps, /`forker`/ c'est-à-dire partir d'un projet existant pour en
créer un autre etc... Les échanges d'idées, et aussi de lignes de code, font
d'ailleurs partie du quotidien.
))
#3 « gouvernementalité polycentrique »
((
(=
+ l'évolution du code libre dépend en grande partie de l'individu, équipe
ou entité qui contrôle la publication du code (généralement ça veut
dire contrôle sur le dépôt officiel) ;
+ les règles communes sont fixées par les licences ;
+ les "petits chefs" ne le restent en général <sup> >`sup_3:(*)`< </sup>
pas longtemps car un /`fork`/ est toujours possible ; dit autrement :
le pouvoir de l'entité qui contrôle le dépôt n'est pas infini, il est
contrôlé par la communauté des développeuses et utilisatrices de la
ressource ; de plus, ce pouvoir repose sur un travail souvent intense
(/`releases`/) et une reconnaissance de la valeur professionnelle.
)=
))
((
-> sup_3
(*) certes, comme pour toutes les situations de communs, et même à peu près
toutes les situations humaines, certaines tensions économiques trop fortes
peuvent malgré tous les gardes-fous faire déraper le système...
))
#2 Références
((
::5 "h=150", "c=r"
Pour une introduction déjà fouillée, mais concise, lire :`Benjamin CORIAT`:,
:`Le bien commun, le climat et le marché`:.
))
((
Pour aller plus loin :
(=
= :`Dictionnaire des biens communs`:
dir. :`Marie CORNU`:, :`Fabienne ORSI`:, :`Judith ROCHFELD`:.
= Les résultats de la recherche d':`Elinor OSTROM`:,
:`Governing the Commons`: (296 p.) sont accessibles, pourvu qu'on lise
l'anglais.
= Sur les évolutions politiques pendant la Révolution française :
:`Yannick BOSC`:, :`Le Peuple Souverain et la Démocratie`:.
= Pour un panorama historique, philosophique, politique des notions de
commun, bien commun, etc... :`Commun`: de :`Pierre DARDOT`: et
:`Christian LAVAL`:.
)=
))
::6 "h=150", "c=images_center",
::7 "h=150", "c=images_center",
::8 "h=150", "c=images_center",
::9 "h=150", "c=images_center",